RD Congo: Restriction croissante des droits
La répression touche les médias, les détracteurs et les manifestants.

Des policiers chargent des manifestants à Kinshasa le 9 juillet 2020 lors de manifestations sur la nomination du nouveau président de la Commission électorale.

Des policiers chargent des manifestants à Kinshasa le 9 juillet 2020 lors de manifestations sur la nomination du nouveau président de la Commission électorale. ©️ 2020 Arsene Mpiana/AFP
(Kinshasa) – L’administration du président Félix Tshisekedi en République démocratique du Congo a sérieusement restreint les droits humains en 2020. Les autorités congolaises ont réprimé des détracteurs pacifiques, des journalistes et des membres de partis politiques, tout en utilisant les mesures de l’état d’urgence mises en place en raison de la pandémie de Covid-19 comme prétexte pour limiter les manifestations politiques.

Des dizaines de personnes ayant critiqué les politiques du gouvernement, y compris sur les réseaux sociaux, ont fait l’objet d’intimidations et de menaces, de passages à tabac, d’arrestations et, dans certains cas, de poursuites judiciaires.

« Les avancées en matière de droits humains observées pendant la première année de mandat du président Tshisekedi semblent rapidement se dissiper », a expliqué Thomas Fessy, chercheur principal pour la RD Congo chez Human Rights Watch. « Tshisekedi devrait faire marche arrière et mettre un terme à cette répression croissante de la liberté d’expression et de réunion pacifique. »

Human Rights Watch a interrogé 36 personnes en RD Congo, dont des victimes d’abus, des avocats, des défenseurs des droits humains et des activistes pro-démocratie, ainsi que des journalistes. Depuis janvier, Human Rights Watch a documenté au moins 39 cas de menaces et de harcèlement liés à la liberté d’expression et à la liberté de la presse dans la moitié des 26 provinces du pays. Dans 17 de ces cas, des personnes ont été arrêtées ; deux d’entre elles sont toujours derrière les barreaux. Au moins 11 personnes ont été arrêtées pour des chefs d’accusation d’« outrage à l’autorité », ceci incluant des gouverneurs de province, des députés et, dans un cas, le président. Sur les 19 journalistes ayant fait l’objet de harcèlement, 8 ont été arrêtés.

Heri Kalemaza, un avocat de 33 ans et porte-parole du Parti congolais pour le Progrès (PCP) dans la province du Sud-Kivu, est détenu depuis le 4 mars 2020 pour «outrage» au gouverneur de la province.Click to expand Image
Heri Kalemaza, un avocat de 33 ans et porte-parole du Parti congolais pour le Progrès (PCP) dans la province du Sud-Kivu, est détenu depuis le 4 mars 2020 pour «outrage» au gouverneur de la province. ©️ Privé
Heri Kalemaza, avocat de 33 ans et porte-parole du Parti congolais pour le Progrès (PCP) dans la province du Sud-Kivu, est détenu depuis le 4 mars pour outrage au gouverneur de la province. « J’ai commencé par recevoir des messages d’intimidation sur WhatsApp venant des cellules de communication et d’investigation du gouvernorat, me disant de ne plus aller dans les émissions et d’arrêter de critiquer la gouvernance de la province », a raconté Heri Kalemaza à Human Rights Watch. Il a été arrêté plus tard alors qu’il entrait dans un studio de radio. « Selon le procureur général, la condition pour moi de mettre fin à cette affaire était d’écrire une lettre au gouverneur pour lui demander pardon, mais j’ai refusé parce que le faire serait une façon de m’incriminer. » Heri Kalemaza est jugé à la prison centrale de Bukavu.

Henri Maggi, vice-président de la ligue des jeunes du Parti Populaire pour la Reconstruction et la Démocratie de l’ancien président Joseph Kabila, a été condamné le 9 juillet 2020 à Kinshasa à 18 mois de prison pour « outrage » au président Félix Tshisekedi.Click to expand Image
Henri Maggi, vice-président de la ligue des jeunes du Parti Populaire pour la Reconstruction et la Démocratie de l’ancien président Joseph Kabila, a été condamné le 9 juillet 2020 à Kinshasa à 18 mois de prison pour « outrage » au président Félix Tshisekedi. ©️ Privé
À Kinshasa, Henri Magie, le vice-président de la ligue des jeunes du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) de l’ancien président Joseph Kabila, a été arrêté le 16 mai pour « outrage » au président Tshisekedi. « Un beau jour, je suis arrêté par deux jeeps de la police avec des éléments lourdement armés pour une personne qui a simplement dit quelque chose à la télévision, et ils m’ont arrêté comme un braqueur de banque », a-t-il expliqué. « J’ai été jugé sans être entendu par le parquet. » Le 9 juillet, un tribunal l’a condamné à 18 mois de prison pour avoir, entre autres, suggéré lors d’une interview dans les médias que Tshisekedi n’avait pas gagné les élections de 2018.

Dans la province de Mongala, depuis mai, les autorités ont ordonné la fermeture temporaire d’au moins quatre stations de radio, ont révoqué les accréditations de six journalistes et suspendu plusieurs programmes de nature politique.

Le 9 mai, Christine Tshibuyi, journaliste basée à Kinshasa et travaillant pour le média en ligne Actualité.cd, a reçu des appels téléphoniques de menaces après qu’elle a publié un article sur des attaques visant des journalistes dans la ville de Mbuji-Mayi. « On ne s’amuse pas avec le gouverneur [du Kasaï-Oriental], on connait la résidence de tes parents », lui a-t-on dit au téléphone. Elle a raconté que le même jour, un véhicule 4×4 du type couramment utilisé par la Garde républicaine a foncé dans l’avant de sa voiture, la forçant à percuter un mur. « Un monsieur qui se faisait appeler Excellence est arrivé avec quatre Gardes républicains […] il me giflait et je saignais », a-t-elle expliqué à Human Rights Watch. Elle a ajouté qu’elle a rapporté les faits de l’incident, mais les autorités n’ont pas mené d’enquête.

Depuis mars, lorsque le gouvernement a interdit les rassemblements publics de plus de 20 personnes en vertu de l’état d’urgence décrété pour endiguer la propagation du Covid-19, les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive et létale pour briser les manifestations et disperser les foules. Le 9 juillet, alors que des manifestations importantes avaient lieu dans plusieurs villes contre la validation hâtive par l’Assemblée nationale d’un nouveau président à la tête de la commission électorale, la police a tué au moins un manifestant à Kinshasa et deux manifestants dans la ville de Lubumbashi, dans le sud-est du pays. Des dizaines d’autres ont été blessés.

À Kinshasa, des manifestants ont frappé et lapidé à mort un agent de police tandis qu’un autre agent a été grièvement blessé. Des groupes de manifestants ont aussi détruit des biens publics et privés. Les manifestations dans d’autres villes ont été largement pacifiques. Les autorités devraient enquêter sans tarder sur l’utilisation de la force létale lors des manifestations de Kinshasa et Lubumbashi, a déclaré Human Rights Watch.

Le ministre des Droits humains de la RD Congo, André Lite, a expliqué à Human Rights Watch par téléphone en réponse à ses conclusions qu’il « condamn[ait] ces abus ». « Comme le président l’a demandé instamment, il revient aux cours et tribunaux de se montrer intransigeants dans le respect des droits fondamentaux », a-t-il précisé. Concernant les tribunaux qui ont condamné des personnes ayant exercé leurs droits essentiels, André Lite a indiqué : « Nous proposerons la grâce présidentielle pour les victimes de jugement inique afin de vider leur casier judiciaire et nous transmettrons ces abus au Conseil supérieur de la magistrature afin de sanctionner les magistrats le cas échéant. »

Le droit international relatif aux droits humains reconnaît que, face à une urgence de santé publique grave, les restrictions de certains droits peuvent être justifiées lorsqu’elles sont strictement nécessaires, proportionnées et non discriminatoires. Cependant, les mesures d’urgence ne devraient pas permettre aux autorités d’interdire ou de réprimer les rassemblements pacifiques pour des raisons politiques sous couvert de protéger la santé.

Le gouvernement congolais devrait continuer à respecter les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, a déclaré Human Rights Watch. Lorsque des violations graves se produisent, le gouvernement a l’obligation de mener des enquêtes rapides et impartiales et de prendre les mesures disciplinaires ou légales appropriées, quels que soient le rang ou la position des personnes responsables.

Toutes les poursuites sans fondement à l’encontre des journalistes et des détracteurs pacifiques devraient être abandonnées, a ajouté Human Rights Watch. Le gouvernement devrait aussi prendre des mesures concrètes conformément aux instruments régionaux et internationaux des droits humains pour protéger les journalistes et respecter la promesse de Félix Tshisekedi de faire « véritablement » des médias un « quatrième pouvoir ». La RD Congo se place cette année à la 150e position sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse. Une nouvelle législation devrait abroger les dispositions pénales réprimant la diffamation et garantir que la véracité des faits et l’intérêt public constituent des moyens de défense dans les plaintes pour diffamation.

« Le président Félix Tshisekedi devrait reconnaître que les attaques contre les journalistes et les détracteurs pacifiques sont une atteinte à la démocratie », a conclu Thomas Fessy. « À moins que Tshisekedi ne cesse de recourir aux outils de répression de son prédécesseur, ses engagements de respect des droits humains ne seront rien d’autre que de vaines promesses. »

Cas d’abus et de répression

Le 29 mai, le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme en RD Congo a soulevé des inquiétudes quant à « la tendance à la hausse des intimidations, arrestations et détentions arbitraires des Défenseurs des droits de l’homme, journalistes et membres de partis politiques » dans certaines provinces. « L’urgence sanitaire ne peut servir de prétexte au musèlement des libertés démocratiques, contraire à l’état de droit », a-t-il déclaré.

Les cas suivants de menaces, de harcèlement et d’arrestations arbitraires depuis le début de l’année 2020 concernent des individus ayant exercé leurs droits fondamentaux à la liberté d’expression ou de réunion pacifique. Plusieurs ont été accusés d’« outrage » à l’autorité. Ils figurent parmi les 39 cas documentés par Human Rights Watch. Cependant, Human Rights Watch estime qu’il existe bien d’autres incidents qui n’ont pas fait l’objet d’enquêtes.

Province de l’Équateur
Le 7 juillet, une cour d’appel a condamné un activiste, Joseph Bayoko Lokondo, à une peine de prison de 6 mois avec sursis, annulant la peine de 13 mois d’emprisonnement pour « outrage à un membre du gouvernement » et « propos diffamatoires ». Il avait été arrêté le 20 janvier pour avoir critiqué le gouverneur de la province, Dieudonné Boloko, et avoir appelé à sa démission. Joseph Bayoko Lokondo est tombé gravement malade en raison des conditions insalubres dans la prison de Mbandaka, la capitale de la province, et du passage à tabac qu’il a subi le jour de son arrestation. Il avait été transféré à l’hôpital pendant 11 jours. Il a été libéré le 8 juillet.

Province du Kongo-Central
Le 12 juillet, des fonctionnaires de l’agence nationale de renseignements ont arrêté Patrick Palata, journaliste de Tala Tala TV, à Matadi. Il a été interrogé sur une série d’interviews télévisées enregistrées la veille de son arrestation alors qu’il enquêtait sur la mort d’une femme qui aurait été tuée par balle par l’un des gardes personnels du gouverneur pendant une manifestation contre les péages routiers. Il a été libéré le 14 juillet sans chef d’accusation, mais ses enregistrements ont été confisqués, l’empêchant de diffuser le reportage.

Province du Nord-Kivu
Jimmy Nzialy, avocat et coordinateur national du groupe Génération Positive-RDC, a été détenu dans une cellule du bureau du procureur à Goma, le 27 mai, après une plainte déposée par Patrick Munyomo, un membre du parlement, l’accusant d’outrage et de diffamation. Jimmy Nzialy a été libéré sous caution le 13 juin.

Espoir Miganda Mugisho, le président de la société civile du quartier de Mugunga à Goma, a été arrêté le 2 juin et accusé d’« outrage à autorité » et du meurtre de deux agents de police, après qu’il a dénoncé la criminalité présumée de certains agents de police. Il a raconté à Human Rights Watch que des agents de police l’ont frappé en prison et que les autorités lui ont refusé les visites de sa famille de même que l’accès à un avocat. Il a été transféré à la prison centrale de Goma, avant d’être libéré sous caution le 22 juin.

Province du Sankuru
À Lodja, Joseph Omega, un journaliste, a été arrêté le 12 mai et emprisonné après que deux membres du parlement de la province l’ont accusé de propos diffamatoires et d’insultes. Il a été libéré le 2 juin.

Province du Nord-Ubangi
Le 16 juillet, des fonctionnaires de l’agence nationale de renseignements ont convoqué cinq membres de plusieurs groupes locaux pour les interroger après qu’ils ont publié une déclaration commune dans les médias sur la situation politique dans la province. Max Nzinga, Patrick Ndoba, Olivier Akpaba, Mohamed Akwele et Christophe Tilombe avaient cosigné une déclaration dans laquelle ils critiquaient la « mauvaise gestion » de la province. Ils ont été entendus par le parquet les 17 et 20 juillet.

Province du Sud-Ubangi
Le 24 avril, la police a arrêté Alexandre Robert Mawelu, un journaliste de Radio Liberté à Gemena, la capitale de la province, et l’a transféré à la prison militaire d’Angenga. L’arrestation a eu lieu après qu’Alexandre Robert Mawelu a critiqué le gouverneur de la province sur un groupe WhatsApp lié à son émission de radio. Dans ses messages instantanés, Alexandre Robert Mawelu affirmait que la police a violemment dispersé un cortège funèbre lors d’obsèques, invoquant les mesures contre le Covid-19, et a frappé un autre journaliste. Alexandre Robert Mawelu a été libéré provisoirement le 29 avril, mais il est toujours accusé d’« outrage envers l’autorité » et de « propos diffamatoires ». Alexandre Robert Mawelu a indiqué à Human Rights Watch qu’il a continué à recevoir des messages de menace jusqu’en juin. Son rédacteur en chef, Phirra Pierre Akambu, a aussi été interrogé par l’agence nationale de renseignements le 29 mai à propos de ses publications sur les réseaux sociaux, après une plainte d’un haut fonctionnaire du gouvernement provincial.

Province de Mongala
Peter Tetunabo, Taylor Engonga et Yannick Mokanga, trois activistes, et Fabrice Ngani, journaliste, ont été arrêtés arbitrairement le 9 mai alors qu’ils étaient sur le point d’adresser une note au parlement provincial critiquant le gouverneur Ngbundu Malengo pour « mauvaise gestion ». Ils ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils n’avaient pas été informés des chefs d’accusation portés contre eux lorsqu’ils ont été transférés à la prison de Lisala, la capitale de la province. Taylor Engonga et Peter Tetunabo ont été libérés sous caution avec des chefs d’accusation d’outrage à autorité, mais ils n’ont pas été autorisés à quitter Lisala et à rentrer dans leurs villes d’origine. Yannick Mokanga a été libéré sans chef d’inculpation le 8 juin. Fabrice Ngani a été libéré le 4 juin et a déclaré avoir subi des mauvais traitements en détention. Le 17 juin, les autorités de la province ont radié Fabrice Ngani et cinq autres journalistes de la profession. « Je n’ai aucun moyen et je suis pauvre, mais je me suis heurté à des hommes forts », a-t-il confié à Human Rights Watch. Plusieurs programmes de radio politiques ont aussi été suspendus.

Province de Lualaba
Mike Lameki, un activiste travaillant sur les questions minières, a expliqué qu’il a reçu des appels anonymes, les menaçant lui et sa famille après sa participation à un programme sur Radio Top Lualaba le 19 mai. Pendant ce programme, Mike Lameki a déclaré que le gouvernement et l’assemblée de la province devraient envisager de répondre à l’appel de personnes à Kolwezi, la capitale de la province, demandant la démission du ministre de l’intérieur provincial en raison de l’insécurité croissante dans la ville.

Province du Kasaï-Oriental
Le 8 mai, Serge Kayeye et Jean-Baptiste Kabeya, deux journalistes travaillant pour Radio Fondation Daniel Madimba, ont été arrêtés à une barrière de péage sur la route menant à Mbuji-Mayi. Ils ont raconté à Human Rights Watch qu’ils ont été accusés d’avoir insulté le gouverneur de la province. Ils ont expliqué qu’ils ont été agressés et que leur moto a été sérieusement endommagée. Le 9 mai, la police a arrêté Faustin Mbiya, le directeur des programmes de la station de radio, et l’a conduit au poste pour un interrogatoire. Il a été accusé d’« outrage à autorité » et d’« insultes publiques » dans le cadre d’une émission de radio. Le 13 mai, Faustin Mbiya a été libéré sans chef d’accusation.

Manifestations pacifiques réprimées en 2020
Kinshasa :
Le 30 mars, la police a ouvert le feu sur des manifestants de Bundu dia Kongo, tuant au moins 3 personnes et blessant 11 autres, d’après une source de l’ONU. Les membres de Bundu dia Kongo organisaient une marche pour « chasser l’esprit du coronavirus ».

Nord-Kivu :
Le 21 mai, la police a tué Freddy Kambale, un activiste de Lutte pour le Changement (LUCHA) âgé de 22 ans, pendant une marche de protestation contre l’insécurité permanente dans la ville de Beni. Le 13 juillet, un tribunal a condamné un agent de police, Eric Ombeni, à la prison à perpétuité pour le meurtre de Freddy Kambale.

Kinshasa :
Selon la police, trois personnes sont mortes – deux par électrocution et une écrasée par la foule – le 9 juillet alors qu’elles fuyaient la police qui dispersait une manifestation de rue contre la fermeture du marché « Zando » en raison des restrictions liées au Covid-19.

Le 13 juillet, plusieurs personnes ont été blessées alors qu’elles fuyaient la police qui dispersait des manifestations importantes à Kinshasa, Mbuji-Mayi, Kananga, Goma et Butembo. Certains manifestants ont été détenus dont la plupart ont été libérés sans chef d’accusation

Source : Site Human right watch

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