« Le Wakanda existe, je l’ai rencontré ! » écrivait à la fin de mai une blogueuse américaine, enthousiaste à son retour du Rwanda, sur la plateforme web Medium. Pas de doute: vingt-six ans après l’Armageddon qui a dévasté ses mille collines, le pays du « président digital » Paul Kagame continue de fasciner des milliers de fans étrangers, dont bon nombre de jeunes diplômés africains, sidérés par le leapfrogging étourdissant qui le propulse au seuil de la quatrième révolution industrielle. La pandémie de coronavirus qui a obligé le Rwanda à fermer ses écoutilles, lui dont le développement repose sur l’extraversion, va-t-elle remettre en question ce grand bond en avant ? Même si le bilan reste faible à ce jour (moins d’un millier de cas déclarés et une petite poignée de décès au 25 juin), les conséquences de la mise en apnée forcée de l’économie rwandaise peuvent être lourdes. En particulier pour le redémarrage des grands chantiers (Kigali Innovation City et le projet de Cité verte entre autres, 7 milliards de dollars d’investissements à eux deux) et celui du tourisme haut de gamme.Les prévisions de croissance pour 2020 étant ce qu’elles sont (2 %, au lieu des 9,5 % escomptés), les quelque treize millions de Rwandais devront donc une nouvelle fois tester leur capacité de résilience. Les vertus de discipline et d’ardeur au travail dont ils ont su faire preuve, sous la houlette d’un président désormais sexagénaire, pour qui démocratie rime avec ordre et sécurité plutôt qu’avec la conception occidentale des droits de l’homme et des libertés, devraient les y aider. Jeune Afrique : Le Rwanda est jusqu’ici relativement peu touché par la pandémie de coronavirus, mais le nombre de cas déclarés augmente. Comment gérez-vous cette situation ? Paul Kagame : Du mieux que nous le pouvons. Le confinement nous a beaucoup aidés: il a permis de mettre en place un processus rigoureux de tests, d’isolements et de traitements. Mais, avec le déconfinement progressif, il y a eu une résurgence de cas importés de chez nos voisins dans certains districts frontaliers. Pour l’essentiel, ces contaminations sont le fait de chauffeurs routiers qui transportent des marchandises en provenance des ports deMombasa et de Dar es-Salaam. Il nous a donc fallu prendre de nouvelles mesures restrictives dans les régions affectées, en coordination, bien sûr, avec les autorités ougandaises et tanzaniennes, car il ne s’agit pas de mettre qui que ce soit à l’index ni de prétendre que l’épidémie n’a pas d’aspects purement endogènes. Nous avons su gérer la maladie dans les centres urbains, nous faisons maintenant de même en zone rurale. Vos quatre voisins ont-ils pris des mesures nécessaires et suffisantes pour faire face ? Il serait malvenu de ma part de porter quelque jugement que ce soit. Je constate de manière générale que, si chacun est conscient du problème, tout le monde ne réagit pas de la même manière. Certains sont dans le déni, d’autres non. Certains jouent la carte de la transparence quant au nombre de cas, d’autres moins. Ce que nous devons tous comprendre, c’est qu’aucun d’entre nous ne peut faire face seul à cette pandémie. L’attitude de chaque pays affecte les autres, et réciproquement. La coopération est donc absolument indispensable. Le Rwanda a beaucoup misé sur le tourisme, qu’il s’agisse de l’écotourisme haut de gamme ou du tourisme de conférence. Or, ces deux secteurs sont très durement touchés par la crise. Comment comptez-vous limiter les dégâts ? D’abord, en encourageant les Rwandais eux-mêmes à visiter leur pays, au rythme du déconfinement des zones d’attraction touristique. Certes, beaucoup ne disposent pas de moyens financiers équivalents à ceux desvisiteurs étrangers, mais peu est toujours mieux que rien. Ensuite, en créant toutes les conditions, notamment sanitaires, pour que ces derniers puissent revenir au Rwanda en toute sécurité. Soit ils se font tester avant leur arrivée à Kigali, soit nous les testons sur place puisque nous en avons les moyens. Plus que tout autre pays africain, vous avez fait le pari de l’économie digitale. Cela vous a-t-il permis de mieux combattre la pandémie ? Assurément, et cela nous aidera à reconstruire ce qui a été endommagé. Des solutions digitales innovantes made in Rwanda ont été créées pour tracer les mouvements du coronavirus à travers le pays. Elles nous ont permisde limiter les transmissions et les infections. C’est un secteur essentiel sur lequel nous allons nous appuyer pour faire redémarrer notre économie. POUR CONTRER L’AVANCÉE DU COVID-19, NOUS MISONS SUR DES SOLUTIONS DIGITALES INNOVANTES, MADE IN RWANDA Sur le continent, des voix s’élèvent pour demander un moratoire sur le remboursement de la dette, voire l’annulation pure et simple de celle-ci. En faites-vous partie ? Il est clair que les pays pauvres qui sont contraints de consacrer leurs ressources budgétaires, limitées, au remboursement de la dette extérieure plutôt qu’à l’investissement ont un sérieux problème. Demander à noscréanciers de nous accorder du temps afin que nous puissions investir cet argent avant de les rembourser a donc un sens.J’entends aussi ceux qui, parmi les pays riches, rétorquent que si nous ne les remboursons pas maintenant, rien ne prouve que nous pourrons le faire à l’avenir. D’où la nécessité d’une discussion, afin d’aboutir à une formule générale et consensuelle. Elle est en cours, et le Rwanda y participe, même si son propre taux d’endettement par rapport à son PIB est supportable. Notre sérieux et les performances de notre politique fiscale font que le FMI et la Banque mondiale ne nous ménagent pas leur appui. Lorsqu’ils nous prêtent de l’argent, nos créanciers savent que nous serons en mesurede les rembourser. Le Burundi, avec qui vos relations sont depuis quelques années conflictuelles, a un nouveau président, Évariste Ndayishimiye. Le temps de la normalisation est-il venu ? C’est ce que nous avons toujours recherché, avec le Burundi comme avec tous nos voisins. Un nouveau président, c’est souvent l’occasion d’un nouveau départ. Prenez le cas de la RD Congo : nous sommes très heureux de constater que, depuis l’arrivée de Félix Tshisekedi, notre coopération bilatérale s’est considérablement renforcée. En ira-t-il