Journée Internationale pour l’Élimination des Violences Sexuelles en temps de conflit : Déclaration du Dr. Denis Mukwege

A l’occasion de la journée internationale pour l’élimination des violences sexuelles en temps de conflit, nous souhaitons rappeler avant tout la gravité des actes de violences sexuelles commis comme stratégie de guerre, de domination et de terreur.

Ces actes entrainent des conséquences graves et durables pour les victimes et les communautés affectées, mais aussi pour l’ensemble de la société, car ils provoquent la désintégration du tissu social et minent toute perspective de développement et de paix durables.

Il s’agit d’une véritable tragédie humaine, d’une crise de notre humanité qui nous concernent tous ! Nous devons donc combattre et éliminer ces violences par tous les moyens, et empêcher que les corps ne soient utilisés comme des champs de bataille.

Aujourd’hui, nos pensées vont à toutes les survivant.e.s de violences sexuelles. A toutes ces femmes et ces hommes qui brisent le silence que les bourreaux cherchent bien souvent à leur imposer, et dont la parole se libère avec courage et détermination pour réclamer la justice, la vérité et des réparations, à l’instar de celle des membres de SEMA, le réseau mondial de survivant.e.s.

Des progrès récents doivent être actés en ce jour.

Le dernier sommet du G7 a mis les inégalités femmes-hommes à son ordre du jour sous l’égide de la présidence française et s’est engagé dans la lutte contre les violences sexuelles commises en temps de paix, mais aussi en période de conflit. Cet engagement des puissances économiques est le signe d’une reconnaissance que l’on ne pourra construire un monde prospère sans respecter les droits des femmes et bénéficier de leur pleine inclusion et de leur plus-value.

La résolution 2467 du Conseil de Sécurité adoptée en avril 2019 a reconnu la nécessité d’une approche axée sur les survivant.e.s pour traiter et prévenir la violence sexuelle dans les situations de conflit, a mis l’accent sur le besoin de reconnaissance et de prise en charge des enfants nés du viol et sur la nécessité de renforcer les mécanismes de sanctions contre les auteurs et les instigateurs de la violence.

L’établissement du Fonds Mondial pour les Survivant.e.s, un mécanisme novateur, centré sur les survivant.e.s et leurs besoins, qui vise à combler les lacunes de la justice domestique et internationale par la mise en place d’une justice réparatrice, représente également une avancée significative.

Ces avancées ne doivent pas éclipser le fait que la tragédie des violences sexuelles continue de s’imposer dans tous les contextes d’instabilité. Nous pensons bien évidemment aux zones de guerre, mais aussi aux autres crises, naturelles ou sanitaires, comme le montre la crise du Covid-19, où les femmes sont non seulement bien souvent exposées en première ligne, mais font aussi l’objet d’une recrudescence de violences et d’abus

Le viol et les violences sexuelles sont en effet de plus en plus répandus dans tous les conflits modernes et, malgré la reconnaissance des actes de violences sexuelles comme éléments constitutifs des crimes les plus graves, force est de constater que l’impunité reste la norme et des mesures de justice, l’exception.

Non seulement ces actes barbares restent bien souvent impunis, mais ils demeurent aussi largement non documentés. C’est dans ce contexte que nous saluons l’adoption en ce jour du Code Murad, qui visera à promouvoir une documentation plus éthique. Gageons que ce code de conduite guidera les enquêteurs, les chercheurs et les journalistes vers une collecte d’informations plus efficace de ces crimes et plus respectueuse de la dignité et des droits des survivant.e.s.

Nous profitons de cette journée internationale pour l’élimination des violences sexuelles en temps de conflit pour réaffirmer le droit des survivant.e.s à des soins holistiques de qualité pour traiter leurs souffrances physiques et psychologiques et faciliter leur réinsertion socio-économique et un accès gratuit à la justice.

Nous sommes d’avis que les survivant.e.s ont droit non seulement à des soins holistiques, mais aussi à une justice holistique : des poursuites en justice pour les auteurs et les instigateurs, des réparations pour les victimes et les communautés affectées, des mécanismes de recherche de la vérité et des garanties que ces crimes ne se répéteront pas pour les survivant.e.s et l’ensemble de la société. Ce n’est qu’en ayant recours à tous ces outils de la justice transitionnelle que l’on parviendra à mettre fin à l’impunité.

A la veille du 20e anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, il est temps que les survivant.e.s aient une place à la table des négociations de paix où sont discutées les initiatives de justice transitionnelle, pour que leurs voix soient entendues et que ces processus de justice dans les sociétés sortant de la guerre ou de la dictature répondent enfin aux besoins et aux aspirations des victimes.

Enfin, nous appelons les hommes et les garçons à se battre auprès des femmes et des jeunes filles pour construire une nouvelle génération où l’égalité femme-homme, le respect mutuel et une complémentarité harmonieuse entre les sexes permettront de mettre une fois pour toute fin aux violences sexuelles et basées sur le genre, en période de conflit comme en temps de paix.

Fait à Bukavu le 19/06/2020

Dr Denis Mukwege

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