ALLOCUTION DU PRÉSIDENT DU SÉNAT A L’OCCASION DE L’OUVERTURE DE LA SESSION ORDINAIRE DE SEPTEMBRE 2020

REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO

S E N A T



ALLOCUTION DU PRÉSIDENT DU SÉNAT A L’OCCASION DE L’OUVERTURE DE LA SESSION ORDINAIRE DE SEPTEMBRE 2020

Palais du Peuple

Kinshasa, 15 septembre 2020

Honorables Sénateurs et Chers Collègues ;

Mesdames et Messieurs ;

Notre Chambre reprend ses travaux ce jour et conformément aux articles 15 de la Constitution et 82 du Règlement Intérieur, j’ai l’honneur de procéder à l’ouverture de sa session ordinaire de septembre 2020.

Permettez-moi, avant de passer en revue les situations sécuritaire, économique, sociale politique et du programme de notre institution, de revenir aux faits survenus dans notre pays ces derniers temps et qui peuvent continuer à influencer l’agenda de nos activités ainsi que les équilibres de la vie nationale.

La Pandémie du COVID-19 qui nous a confinés pendant une bonne période de cette année est certes stabilisée mais pas encore vaincu. Je salue en votre nom les efforts et l’efficacité avec lesquels le Gouvernement et les différents services d’interventions ont, et continuent à effectuer afin de limiter le plus possible l’expansion de ce virus.

C’est ici l’occasion de rappeler qu’il nous appartient, en notre qualité de parlementaire, de soutenir ces efforts par la sensibilisation de la population qui doit rester consciente que la fin de l’état d’urgence, intervenue le 22 juillet 2020, ne signifie pas l’éradication de la pandémie. Nous sommes donc tous tenus de continuer à observer les mesures sanitaires dites « gestes barrières », en l’occurrence la distanciation sociale, le port du masque et le lavage régulier des mains.

Nous avons clôturé la session passée sous une forte tension qui a amené les groupes politiques, aussi bien ceux dits de l’opposition que ceux dits de la majorité et de la société civile à manifester par des marches dans la rue. Certains exprimaient leurs refus des propositions des lois et désignations à l’Assemblée Nationale et d’autres tentaient de soutenir le contraire. Dans tous les cas, la violence a été aux portes du temple de la démocratie avec entre autres conséquences :

L’interdiction d’accès au parlement provoquant la peur au ventre des députés et sénateurs qui devaient accéder à leur lieu de travail.

L’atteinte à l’intégrité physique des représentants du peuple. J’ai encore en mémoire cette fameuse et violente phrase qui a fait le tour des médias, je cite : « boma député, tika policier » !

A ce stade, je voudrais demander au Gouvernement de prendre toute mesure qui permettrait d’éviter cet état de chose aux prochaines sessions et à nos chambres de prêter oreilles à ces expressions populaires afin d’en circonscrire les racines et envisager les solutions idoines.

Plusieurs initiatives sur les réformes des lois électorales sont prises par divers acteurs et citoyens, et font probablement suite aux mécontentements de juillet dernier.

Comme vous le savez, c’est une évidence qu’aucune loi ne peut être votée en dehors des institutions en l’occurrence l’Assemblée Nationale et le Sénat où se tiennent les débats adéquats.

D’éminents Professeurs d’universités, d’éminents juristes et certains politiciens s’avancent sur l’inconstitutionnalité ou non de certaines décisions. Le conseil à donner aux uns et aux autres est de toujours, en cas de doute, pousser les limites de l’analyse en se référant, au besoin, aux annales parlementaires pour connaître la «  Ratio Legis » qui a conduit à rédiger tel article de la Constitution ou de telle loi sous la forme que vous connaissez.

Dans l’hypothèse d’une controverse quant à l’interprétation des textes ou de leur inadaptation aux situations de l’heure, la Loi a prévu aussi bien la possibilité d’obtenir l’interprétation auprès des instances habilitées que celle de la réforme des textes jugés inadaptés. Il s’ensuit que les textes doivent être appliqués en l’état, aussi longtemps qu’ils ne sont pas modifiés. Il y va de la sauvegarde des droits et libertés fondamentaux garantis aux particuliers. C’est dans ce cadre que notre chambre doit, dans une froide lucidité demeurer le gardien de l’inviolabilité de la Constitution.

Dans une Démocratie, la République est une mécanique institutionnelle dont le rendement dépend du bon fonctionnement de son engrenage. Il serait alors aberrant de penser qu’une institution peut, à elle seule, répondre aux attentes de la population. Cela étant, c’est pour moi l’occasion d’exprimer mon souhait de voir les institutions de la République se concerter régulièrement en vue de converger leurs efforts vers l’intérêt de la population, dans le respect du principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs.

Le constat sur le plan politique est que le pays fait face à des ingérences étrangères récurrentes dans les affaires intérieures de l’Etat. Nous remarquons que certaines représentations diplomatiques s’érigent en conseillers d’institutions publiques et d’acteurs politiques en fonction. Leurs déclarations et activisme contribuent à l’évidence à la méfiance et opposition entre congolais.

Je prie donc le Gouvernement de rappeler aux représentants des pays amis au plus grand respect de la Convention de Vienne à son article 41, alinéa 1er ainsi que de la Charte des Nations-Unies à son article 2 paragraphe 7 et de soumettre leur comportement au respect de nos institutions, des autorités et des citoyens.

Au sein de notre société, le tribalisme envahit les réseaux sociaux ainsi que les pratiques dans l’administration, les institutions de l’État et la cité. On ne peut en aucun cas construire une Nation, un État et une démocratie sur cette base.

Comme Sénateurs, représentant toutes les tendances de nos 145 territoires, nous devons inscrire dans nos actions la sensibilisation à la lutte contre ce phénomène et sans écarter nos identités multiples, privilégier notre participation au destin commun appelé la République Démocratique du Congo.

Je saisis cette occasion pour vous exprimer à la fois une mise en garde et une demande de lucidité à nous tous face au type d’informations qui circulent à longueur des journées sur les réseaux sociaux, médias qui peuvent être dévastateurs en rapport avec nos responsabilités. Permettez-moi sur ce, de vous partager les propos d’Umberto Eco que vous devez certainement avoir lu, je cite :

« Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions de personnes qui avant, ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité… Aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel ».

La citation que je fais d’Umberto Eco n’est pas fidèle à 100 %. J’ai eu recours au mot personne” pour ne pas utiliser celui d’Umberto Eco.

Honorables Sénateurs et chers Collègues,

La ssécurité n’est pas encore rétablie sur l’étendue du territoire et les provinces orientales de notre pays payent encore un lourd tribut dû à l’accroissement des groupes armés.

Il s’avère que les diffcultés de la mise en oeuvre du programme du Démobilisation-Désarmément et Réinstallation-Réintégration communautaire (DD&RRC) participent également à cette situation.

C’est pour moi l’occasion d’interpeller le Gouvernement. Quand bien même les provinces interviennent au niveau de la réinstallation-réintrégration communautaire, ce programme est de l’entière responsabilité du Gouvernement. Il est important que les moyens nécessaires soient mobilisés pour son effectivité.

Ces incoherenses constatées sur le plan sécuritaire sont sans nul doute à la base de la mort des enfants à Masisi, alors qu’ils étaient en pleins examens de TENAFEP, et ceux fauchés dans les Hauts Plateaux de Minembwe et à Irumu en Ituri ces dernières semaines.

J’ai une pensée pieuse et compatis avec les familles qui ont perdu les enfants, auxquels, j’associe les orpailleurs décédés dans l’éboulement de la mine d’or de Kamituga, dans la province du Sud-Kivu, et Monsieur BONKOSI Mboyo Célestin, agent à la Direction de matériel du Sénat qui nous a quitté le 13 juin dernier. Je vous prie de vous lever et d’observer une minute de silence en leur mémoire.

Je salue par cette occasion l’initiative du Président de la République qui convie cinq de ses collègues présidents des pays voisins aux fins des concertations sur la paix et la sécurité à l’Est de la République et dans la région des Grands Lacs.

Nous espérons que ce sommet se tiendra rapidement et attendons beaucoup de lui pour la sécurité à l’Est et de ce fait, la RDC ne pourra être valablement admise dans la Communauté Économique de l’Afrique de l’Est de notre pays. 

Il convient de signaler également dans ce même chapitre, la recrudescence du banditisme urbain traduit par des « rackets », enlèvements, viols et tueries à Kinshasa, Goma et dans d’autres villes du pays.

J’exhorte encore ici le Gouvernement à déployer plus de force tout en veillant à ce que justice se fasse car comme disait Blaise Pascal, je cite : « la force sans la justice est tyrannie, mais la justice sans force est impuissante ».

Honorables Sénateurs et chers collègues,

Toutes les économies du monde subissent l’agenda de COVID-19 et notre pays ne fait pas exception, la récession est à nos portes comme peuvent indiquer ces quelques indicateurs macroéconomiques :

le taux de croissance prévu pour cette année 2020 était de 5, 4 % contre 4, 4% en 2019. Cependant, à la fin du 1er trimestre, il était de -1, 9 % ; à ce jour il est de -2, 4% ;

la mobilisation des recettes fiscales et non fiscales a été très faible. Au premier trimestre, les assignations budgétaires totales n’ont été réalisées qu’à 27,7%.

Les recettes moyennes réalisées par les régies ont été de 400 milliards de francs congolais par mois, alors que les dépenses liées à la rémunération se situent autours de 410 milliards de francs congolais par mois.

Cela a entrainé une chute de nos réserves de change. Et du fait de la dépréciation du franc congolais, les salaires des fonctionnaires, des enseignants, des magistrats, des militaires et des policiers ont connu une dévaluation de plus de 20% et plusieurs sociétés du secteur privé déposent le bilan.

La stabilisation du taux d’inflation et les mesures que prennent les autorités monétaires et économiques présagent d’une bonne prise en charge, nous les y encourageons et leur recommandons de suivre de près, sinon de participer aux efforts africains pour réclamer des fonds frais au Fonds Monétaire International en guise de compassassions des pertes dues à la pandémie à COVID-19.

Étant un des grands problèmes du siècle, cette crise peut en même temps être, une fois qu’elle passera, considérée déjà comme une opportunité et origine de nouveaux défis. Les pays riches remettent en question leur manière de consommer et dans certains domaines, réajustent leurs politiques économiques.

La sauvegarde des ressources et de l’environnement devient un impératif pour le rééquilibrage de notre village commun, la Planète. Les puissances occidentales et asiatiques recherchent la sécurisation et la stabilisation des réseaux d’approvisionnement en matières premières.

Notre pays, que d’aucuns considèrent comme le coffre-fort du monde devra réfléchir, dans ce nouveau contexte, sur ses propres plans de sécurisation des ressources, la transformation totale ou partielle de ses ressources minérales et naturelles ainsi que le choix de ses partenaires en fonction des contre parties pouvant « booster » le développement, l’industrialisation et la juste répartition des richesses à ses propres populations.

En votre nom, chers collègues, j’exhorte une fois de plus le Gouvernement à étudier ces questions et de les intégrer dans le plan stratégique de développement des années à venir.

Honorables Sénateurs et chers collègues,

Comme vous le savez, la session de septembre est essentiellement budgétaire. Aussi, inviterais-je, à cet effet, le Gouvernement à déposer le projet du budget 2021 au Bureau de l’Assemblée Nationale, conformément aux prescrits constitutionnels, dès le début de la session en cours afin de permettre au Sénat d’y apporter son savoir-faire.

Et comme à chaque fois, je voudrais rappeler que l’examen de ce projet de budget de l’État n’est pas un simple rituel parlementaire annuel. Il est un acte législatif de grande importance pour la vie de notre État, ainsi que celle de nos populations. Par conséquent, il devra être guidé par le souci de rencontrer leurs attentes et de mettre à la disposition du Gouvernement un outil de gestion de sa politique aussi réaliste que pragmatique.

La crise invoquée plus haut rendra les affectations budgétaires plus difficile cette année ; je rappelle donc à l’assiduité et à la participation effective de tous les sénateurs aux séances de travail, tant en Commission qu’en Plénière ainsi qu’à la rigueur dans le traitement de toutes les questions qui découleront de cet exercice.

Pour nous mettre en phase avec la lutte contre la corruption, la maximisation des recettes et la rationalisation des dépenses, je recommande une grande attention aux recettes douanières, fiscales, non fiscales et parafiscales. Quant aux dépenses, vous pourriez examiner les rubriques relatives au processus de stabilisation de l’économie, du soutien aux secteurs productifs, des besoins sociaux de base et de réhabilitation des infrastructures.

C’est ici pour moi l’occasion de revenir sur la Caisse Nationale de Péréquation pour laquelle je vous promettais de commander une étude de faisabilité pour la création d’un système financier destiné à l’utilisation rationnelle et efficiente de ces fonds aux fins de développement des provinces. Le confinement imposé par la COVID-19 n’a pas permis la réalisation de cette étude. Comme vous le savez, autant tout est régulé pour l’encaissement de ces fonds, autant les clés de répartition, les capacités d’étude des demandes et des projets, le système de contrôle de l’utilisation ainsi que la gestion financière de l’ensemble sont encore à définir.

Le budget 2020 avait alloué un montant de 1.082 milliards de francs congolais à la CNP ; à ce jour, le sous compte du compte général du Trésor à la Banque Centrale du Congo, réservé à la Caisse Nationale de Péréquation, n’a jamais été alimenté. Des informations en ma possession signalent que les prévisions de l’exercice 2021 envisageraient de rabattre ce montant à 441 milliards de francs congolais. Une telle proportion de rabattement drastique, même justifiée par la mauvaise conjoncture économique me semble inquiétante. C’est pourquoi, je recommande que, au moment venu, cette question soit examinée le plus rationnellement possible par notre Commission Ecofin.

J’exige du Gouvernement de verser déjà la quotité 2020 au prorata des recettes encaissées au sous-compte général conformément à l’article 24 de la loi créant la Caisse Nationale de Péréquation.

De même, je demanderais à cette commission (Ecofin) d’inviter l’autorité de la Caisse Nationale de Péréquation afin de préparer l’organisation d’un séminaire incluant les acteurs des provinces et des experts en la matière pour accélérer la création d’une institution financière à mesure d’absorber les fonds à disposition afin de:

pouvoir gérer les projets et programmes qui seraient soumis par une ou plusieurs provinces ;

constituer des garanties suffisantes pour l’accès aux crédits publics des provinces à des taux raisonnables et à moyen et long terme ;

définir des quotités à mettre à la disposition de certaines provinces pour leur fonctionnement et résolution des problèmes spécifiques;

amplifier les fonds dans le système bancaire et financier national et international.

Dans le même ordre d’idée, je souhaiterais que la Commission Ecofin se penche également sur la question de rétrocession aux provinces qui continuent à souffrir du non respect des dispositions légales.

Ce travail est d’une impérative nécessité.

Toujours dans ce chapitre budgétaire, je propose d’examiner en anticipation, la possibilité de créer un compte d’affectation spéciale sous le libellé « Élections » qui par le fait de ne pas être clôturé à la fin de chaque exercice permettra d’éviter toute recherche impréparée ou contribution incontrôlée aux élections de 2023. Les montants seraient déterminés en fonction des dernières prévisions du budget des élections prochaines tel qu’il apparait dans le rapport 2019 de la CENI.

Honorables Sénateurs et chers collègues,

Le fait que cette session est essentiellement budgétaire et procédera à l’examen du budget de l’État de 2021 ne doit pas éluder les autres initiatives et de contrôle parlementaire. C’est pourquoi je fais observer que des propositions des lois déposées depuis le début de la législature peinent à avancer et il convient de considérer celles qui nous seront transmis par l’Assemblée Nationale prochainement. Je vous convie donc à plus d’engagement dans la production législative afin de résorber les goulots d’étranglement et ce, dans l’intérêt supérieur de la Nation.

Puis-je dès lors attirer votre attention sur le fonctionnement des commissions et rappeler qu’aux articles 40, 41, 191 et 192 du Règlement Intérieur du Sénat, les Commissions Permanentes sont des organes techniques à la disposition de la Plénière et du Bureau du Sénat. En conséquence, leurs initiatives doivent recevoir l’aval de l’un de ces deux organes. Par ailleurs, il est impératif de retenir que les travaux en Commission doivent se dérouler à huis clos, que leurs conclusions sont adressées à la Plénière et qu’aucune Commission ne peut les rendre publiques.

Honorables Sénateurs et chers collègues,

Pour terminer, je voudrais m’acquitter du devoir de vous rappeler que conformément à l’article 233 de notre Règlement Intérieur, nous avons l’obligation de dresser et de déposer au Bureau du Sénat un rapport de vacances parlementaires. Celui-ci doit comporter, non seulement la description des problèmes politiques, sécuritaires, administratifs, économiques, sociaux et culturels de nos circonscriptions électorales respectives, mais aussi des propositions de solutions.

Sur ce, je déclare ouverte la session ordinaire de septembre 2020.

Je vous remercie.

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